Des étoiles aux satellites, une histoire de la navigation
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Le 16 décembre 2023
Du cabotage à l’invention du GPS, l’ingéniosité humaine a rendu possible l’exploration de contrées inconnues et la navigation de précision. Retour sur une aventure millénaire avec François Bellec, contre-amiral et écrivain, auteur d'une "Histoire universelle de la navigation".
« Au début de l’histoire de la navigation, ce n’est pas vers l’Europe qu’il faut se tourner, explique François Bellec, contre-amiral et écrivain, auteur de l’Histoire universelle de la navigation. Quand, en l’an 1000, la mer et les océans terrorisaient les occidentaux et l'on n’osait pas aller en haute mer, les Vikings avaient déjà traversé l’Atlantique et touché l’Amérique, les Maoris connaissaient une bonne partie du Pacifique, les Chinois naviguaient jusque dans le golfe Persique et les Persans étaient dans l’océan Indien. » Ces navigations restaient élémentaires, avec l’aide des étoiles mais tout cela demeurait très empirique.
En Europe, depuis l’Antiquité, la navigation était intense en Méditerranée grâce au cabotage. Dans l’Atlantique, une bonne connaissance du littoral permettait une navigation à vue le long des côtes. Vers le sud, le point le plus extrême atteint était le cap Bojador, au sud du Maroc. Au-delà, la légende disait que la mer des Ténèbres s’étendait. De hautes vagues, la présence de récifs et une profondeur faible rendaient le passage très dangereux. Tout cela n’a évolué qu’à partir du Moyen Âge avec l’émergence de deux outils.
Aiguille aimantée et carte pisane
Ce sont les Chinois qui ont inventé l’ancêtre de la boussole, il s’agissait d’une simple aiguille aimantée alors. Mais c’est aux Persans qu’on doit l’idée de s’en servir en mer, pour s’orienter même quand on ne voit pas les étoiles ou quand il y a de la brume. « Il faudra attendre le début du XIIe siècle pour que la boussole voit réellement le jour. Un navigateur italien de la région d’Amalfi, Flavio Gioja, a l’idée de planter l’aiguille aimantée sur un axe pour qu’elle ne se balade plus. Et il place le dispositif dans une petite boîte, une boussola », explique François Bellec. À cela s’ajoute l’apparition des premières cartes avec un dessin « satellite », c’est-à-dire une représentation aérienne des côtes. C’est vers le XIIIe siècle que ces tracés font leur apparition, dont la carte pisane, plus ancienne carte marine connue et dessinée à Gênes. Reste que, si ces instruments existent, ils ne sont encore que très peu utilisés.
Au XVe siècle, sous l'impulsion du roi Henri le Navigateur, le Portugal commence à s’intéresser à l’Afrique et ambitionne d’en faire le tour pour aller chercher des épices et contourner ainsi le monopole de Venise, qui était seule à avoir des caravanes terrestres pour rapporter poivres et épices d’Asie qui, à l’époque, valaient plus que de l’or.
« Dans l’imaginaire à l’époque, l’Afrique était bien plus petite qu’en réalité. Mais il y avait le fameux cap Bojador, réputé impossible. Il y aura 14 tentatives, 14 échecs, de marins portugais avant qu’on ne parvienne à dépasser ce cap de la peur. C’est en 1434 que Gil Eanes réussit l’exploit. Pour cela, il a l’idée de s’éloigner des côtes en faisant cap à l’ouest. Il passe ainsi outre l’obstacle et progressant vers le sud, s’aperçoit que la mer des Ténèbres n’était qu’une légende. Après lui, il faudra 84 ans, quatre générations de marins, pour faire le tour complet de l’Afrique »
Caravelles, portulans et latitude pour naviguer où qu’on soit sur Terre
Bien avant qu’elle ne soit utilisée par Christophe Colomb pour « découvrir » l’Amérique, la Caravelle était déjà utilisée dans l’Atlantique par les Portugais, particulièrement pratique pour remonter les alizées et éviter de tirer trop de bords. « Avec ces embarcations, on commence à volontairement quitter la terre de vue. Les cartes portugaises [cartes marines qui indiquent les ports, les côtes, les îles, les obstacles… NDLR] et la boussole deviennent cruciales. Mais tout cela manque de précision. Des erreurs de 600 kilomètres sont possibles si on ne fait pas attention. Alors on essaie de mesurer la latitude, c’est-à-dire sa position entre l’équateur et le pôle Nord. Pour cela, on se réfère à l’étoile polaire et, en regardant où sont placées deux autres étoiles de la petite ou de la grande ourse, on peut en déduire sa position après de savants calculs », détaille le contre-amiral.
Le hic, c’est qu’une fois passée l’équateur, l’étoile polaire ne peut plus servir de référentiel. « La solution trouvée », c’est le calcul de la latitude par rapport au soleil de midi grâce à un astrolabe et aux tables pratiques de déclinaison du soleil. Cette méthode permet d’obtenir enfin le premier système de navigation universel, c’est-à-dire où qu’on soit sur Terre. On est alors dans les années 1485 et la navigation « conquérante » peut commencer.
Arbalestrille, quartier de Davis, loch à ficelle… les outils se multiplient
Si on peut désormais naviguer partout en théorie, la précision n’est toujours pas au rendez-vous. De mauvais calculs, des degrés mal lus sur la glace d’une boussole… tout cela peut faire dévier de sa trajectoire de façon plus ou moins prononcée. Alors on invente de nouveaux outils pour améliorer la localisation du bateau. L’arbalestrille, ou bâton de Jacob, permet de déterminer plus aisément la latitude par mesure de la hauteur de l'étoile polaire ou du soleil. Son usage se répand surtout au XVIe siècle. Tout comme le quartier de Davis, qui mesure la hauteur du Soleil au-dessus de l’horizon. Si la mesure est réalisée au moment de la culmination du Soleil, alors on obtient la latitude.
Les marins doivent faire face à un autre problème : estimer leur vitesse.
« Le loch à ficelle est une invention assez géniale. Auparavant, pour estimer la vitesse d’un bateau, on jetait une bûchette [log en anglais ou néerlandais, NDLR] à l’avant du bateau et on calculait le moment où elle atteignait la poupe. Le système a été amélioré quand on a inventé le loch, nom dérivé du log, qui est une ficelle lestée pour s’enfoncer perpendiculairement dans l’eau. La ficelle est graduée à l’aide de nœuds espacés de 47 pieds et demi, soit 15,43 mètres. On peut alors déterminer la vitesse en fonction du nombre de boucles qui filent en 30 secondes. Cette vitesse, exprimée en noeuds, est toujours d’actualité aujourd’hui même si on a changé de méthode depuis. »
La révolution de la longitude au XVIIIe siècle
Si le problème du calcul de la longitude a été résolu, en principe, vers le milieu du XVIe siècle, il faudra attendre deux siècles et demi pour que les outils permettant son calcul apparaissent en navigation. La longitude, expression du positionnement Est-Ouest sur Terre, a longtemps été un casse-tête car elle implique des mesures temporelles… qui varient selon où on se trouve sur la planète. « Le premier défi a été de créer des tables astronomiques à partir d’un événement qui se produit partout en même temps, comme une éclipse par exemple. On peut donc connaître l’heure à laquelle le phénomène est observé par rapport au méridien de référence. L’Observatoire de Paris, notamment, permettra la création de celles-ci », explique François Bellec. Mais il faut ensuite posséder un chronomètre fiable, ou “garde-temps”. Celui-ci donne aux marins l’heure exacte au méridien d’origine et l’heure au lieu où ils se trouvent en mer. De là, on peut en déduire la longitude.
« Le premier défi a été de créer des tables astronomiques à partir d’un événement qui se produit partout en même temps, comme une éclipse par exemple. On peut donc connaître l’heure à laquelle le phénomène est observé par rapport au méridien de référence. L’Observatoire de Paris, notamment, permettra la création de celles-ci »
Le grand défi était donc de créer des horloges suffisamment précises pour rendre fiables ces calculs. Un Anglais, John Harrison, crée en 1736 un chronomètre à longitude, qui ne prend qu’un retard de 5 secondes après neuf semaines en mer. Un exploit à l’époque. « En 1767, deux horlogers français, Pierre Le Roy et Ferdinand Berthoud, proposent à leur tour des chronomètres encore plus précis. Les marins peuvent ainsi définir la longitude avec une précision jusqu’alors jamais atteinte. Mais il s’agissait alors d’énormes horloges protégées dans des coffres. » À peu près à la même époque, vers 1730, un Anglais et un Américain inventent le sextant moderne. « À cela s’ajoute le « cercle de Borda », inventé par Jean-Charles de Borda, un Français originaire de Dax. Sa méthode permet de rapidement faire le point en mer plus rapidement. » Enfin, la dernière invention avant les technologies modernes fut la « droite de hauteur ». En 1837, Thomas Sumner découvre ce principe, inspiré des savoirs ancestraux des Polynésiens. À l’aide de seulement deux observations ou mesures, on peut en déduire une position en latitude/longitude. Une méthode de calculs qui sera améliorée quelques années plus tard par Marcq Saint-Hilaire.
Il faudra ensuite la Seconde Guerre mondiale pour faire un grand saut technologique avec l’avènement de systèmes électroniques. « Ce fut d’abord la radio navigation pendant la guerre puis l’invention du GPS par l’armée américaine dans les années 1950. Le système, qui repose sur un positionnement par rapport à des satellites, a d’abord été réservé au seul secteur militaire. Mais, en 1983, à la suite du crash du vol Korean Air Lines 007 qui a tué les 269 passagers, le président Ronald Reagan demande à ce que la technologie GPS soit mise gratuitement à disposition des civils. » Il est rapidement devenu un outil incontournable pour la navigation mais aussi au quotidien, embarqué dans nos smartphones et montres connectées.
« Ce fut d’abord la radio navigation pendant la guerre puis l’invention du GPS par l’armée américaine dans les années 1950. Le système, qui repose sur un positionnement par rapport à des satellites, a d’abord été réservé au seul secteur militaire. Mais, en 1983, à la suite du crash du vol Korean Air Lines 007 qui a tué les 269 passagers, le président Ronald Reagan demande à ce que la technologie GPS soit mise gratuitement à disposition des civils. »
Se repérer en mer : les arts de la navigation
Retrouvez ces inventions au coeur du parcours du musée national de la Marine à Paris, dans l'escale "Se repérer en mer : les arts de la navigations"
Histoire universelle de la navigation, François Bellec, Éditions Jean-Pierre de Monza, tome 1 et 2, 2016 et 2017, 69€ par tome.
Florence Santrot WE DEMAIN
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Vaste et mystérieuse, la mer a toujours été une source d'inspiration inépuisable pour l'humanité. Au fil des siècles, l'océan a inspiré une multitude d'innovations, de découvertes et de créations. Bien souvent à l'avant-garde sur le sujet, la France porte encore aujourd'hui des projets ambitieux.
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