Histoire du château de Brest
Au fil des siècles, l’architecture du château est adaptée pour répondre à l’évolution des techniques de siège et de l’armement, visant à se prémunir de deux types d’attaques : terrestre et maritime. En 17 siècles d’histoire, le château ne sera jamais pris par la force.
Le camp romain d'Osismis : le castellum au IVe siècle
On ne sait rien aujourd’hui de l’occupation du site à l’époque préhistorique. La première implantation certaine est celle de soldats romains, probablement à la fin du IIIe siècle ou au début du IVe siècle. Le site choisi pour l’établissement d’un castellum est un éperon rocheux entouré par la rade et le fleuve Penfeld, sur trois côtés.
Une garnison d'un millier de personnes y était cantonnée pour surveiller la rade et l'entrée de la Penfeld. A la fin de l'empire, le castellum est un site capital par sa position charnière entre Europe du Nord et Europe du Sud.
De ce castellum, seule la courtine qui barrait l’éperon est relativement bien connue. Épaisse de quatre mètres, en appareillage romain à alternance de briques et de petits moellons, elle était rythmée par dix tours circulaires, et comportait très vraisemblablement une porte centrale. Elle s’élève encore aujourd’hui sur quatre à huit mètres de haut. L’enceinte se prolongeait probablement sur les trois autres côtés.
Au Ve siècle, l’effritement du pouvoir romain a pu se traduire par l’abandon du castellum. On ne sait rien ensuite de l’histoire de Brest à l’époque des rois mérovingiens et carolingiens (Ve-Xe siècles).
Le château médiéval vers 1380
Au XIe siècle, le castellum est toujours une place forte. Il appartient alors au vicomte de Léon installé à Morlaix, qui, accablé de dettes, le cède en 1240 au duc de Bretagne Jean Ier le Roux.
En 1240, le duc de Bretagne achète « la ville, le château et le port » de Brest. L’acte de vente est la première véritable mention du château dans l’histoire.
Lors de la guerre de Succession de Bretagne (1341-1364), qui débute à la mort du duc Jean III (1286-1341), la Bretagne se déchire entre deux partis soutenus l’un par les Français, l’autre par les Anglais. Ces derniers obtiennent le contrôle de la forteresse de Brest en échange de leur appui. Ils l’occupent de 1342 à 1397, y installant une garnison.
Le château et le port permettent aux Anglais de contrôler la route maritime qu’empruntent leurs navires entre l’Angleterre et la Guyenne (actuelle Aquitaine). Si Brest ne joue pas un rôle comparable à celui de Calais, elle est néanmoins un élément important de la stratégie anglaise sur le continent.
La guerre de Succession gagnée, le duc Jean IV (1339-1399) souhaite reprendre son bien. Cependant, ses alliés anglais s’y maintiennent, car le château conserve son importance stratégique dans la guerre de Cent Ans.
Bertrand Du Guesclin (1320-1380), noble breton, en tente le siège en 1378, en vain. Bretons et Français s’unissent pour un nouveau siège entre 1386 et 1387, sans plus de succès. Finalement, le duc de Bretagne Jean IV est contraint de racheter son château que les Anglais lui restituent en 1397.
La ville, avec l'église paroissiale Notre-Dame de Pitié, est incluse dans le périmètre de l'enceinte romaine, sans doute élargie vers l'ouest et vers l'embouchure de la Penfeld. A l'angle nord, le donjon construit par les comtes de Léon est renforcé par les ducs de Bretagne.
Le château d'Anne de Bretagne : le château des ducs vers 1480
En 1505, le château dans lequel séjourne la reine Anne de Bretagne (1477-1514) n’a plus rien à voir avec la forteresse occupée par les Anglais. Tout au long du XVe siècle, les ducs de Bretagne ont en effet conduit d’importants travaux de modernisation.
Face au développement de l’artillerie, qui met à mal les hautes tours et courtines médiévales, les ducs doivent adapter la forteresse. La tour Madeleine est renforcée ; les tours Paradis sont édifiées et constituent l’entrée de la ville close, protégée par un ravelin équipé d’artillerie. Les tours d'origine romaines subsistent encore et rythment le rempart. Le véritable château de l'époque englobe les tours Nord, Duchesse Anne et Azénor. Ce donjon est agrandi et modernisé. Il devient un véritable logis seigneurial.
La ville se développe lentement dans l’enceinte du château, mais aussi à ses abords. Dans la seconde moitié du XVe siècle, 260 habitations sont recensées, soit entre 1 000 et 1 200 habitants. Le port, excentré par rapport aux principales voies de commerce, ne se développe guère.
Quelques années plus tard, le château accueille un autre hôte de marque : le roi François Ier (1494-1547), qui y réside en septembre 1518. Il s’intéresse de fort près au port et ordonne la construction de bâtiments, ateliers et magasins.
Les guerres de religion : le château vers 1590
La fin de l'Indépendance bretonne, entérinée en 1532, fait du château de Brest une forteresse française. Modernisée, elle connaît l'épreuve du feu lors des guerres de Religion (1562-1598).
Au cours de la Ligue catholique, le gouverneur de la place reste fidèle au parti du roi protestant Henri IV (1553-1610). Brest constitue alors, avec Rennes et Vitré, l’une des rares villes qui s’opposent aux ligueurs catholiques appuyés par les Espagnols.
La défense du château est considérablement renforcée au courant du XVIe siècle. Il s’agit de l’adapter à la fortification moderne ou bastionnée. Les principaux travaux concernent le bastion Sourdéac (1560-1597), qui englobe et protège le Donjon afin de le mettre à l’abri de l’artillerie. Le front sud-ouest face à l’embouchure de la Penfeld est développé. La tour Française et la tour de Brest, conçues pour l’usage de l’artillerie, remplacent les tours médiévales. La tour Madeleine est « chemisée », c’est-à-dire enveloppée d’une maçonnerie qui triple la largeur du mur, atteignant ainsi douze mètres.
Le ralliement à la cause d’Henri IV vaut à Brest la reconnaissance du roi. Par lettres patentes en 1593, il accorde aux Brestois le droit de bourgeoisie. Brest devient une ville ; d’autant qu’une vraie bourgade s’étend désormais à l’écart du château, autour de la chapelle Saint-Yves et de l’église des Sept-Saints, érigée en paroisse en 1549. L’extension des défenses du château s’est accompagnée de la destruction du faubourg originel. Entre-temps, la ville close s’est peu à peu vidée de sa population. Les habitations cèdent la place à des casernes afin de loger la garnison. À la fin du XVIe siècle, la ville de Brest est sortie du château.
La citadelle Vauban : le château en 1710
Lorsque Vauban (1633-1707) arrive à Brest en 1683, la ville a déjà bien changé. En 1631, le cardinal Richelieu (1585-1642) a choisi Brest pour y créer l’un des ports de guerre de la Marine royale. À partir de 1669, ce choix s’accompagne du développement de l’arsenal sous l’impulsion de Colbert (1619-1683).
Pour Vauban, le château est un élément essentiel de la défense du port du Ponant. Il doit assurer la sûreté de la ville et du port. Vauban modernise ainsi la forteresse médiévale afin qu’elle puisse faire face aux progrès considérables de l’artillerie.
Il fait détruire les dernières tours romaines encore présentes. Les courtines sont remparées au moyen de terre : leur épaisseur passe de quatre à dix-neuf mètres entre la tour Madeleine et les tours Paradis.
Les tours médiévales perdent leurs toitures qui sont remplacées par des plates-formes d’artillerie ; seules les tours Paradis conservent leur aspect d’origine. Le Donjon est couronné par une vaste plate-forme capable de recevoir vingt canons.
Du côté de la ville, Vauban édifie un important front bastionné précédé d’un chemin couvert et d’un glacis qui l’isole totalement de l’agglomération. Le château-citadelle doit pouvoir se défendre face à un ennemi devenu maître de l’enceinte urbaine, mais aussi contre un soulèvement de la population qui peut être rétive face au pouvoir royal.
Vauban porte enfin son attention sur la défense de la rade, « la plus belle pièce d’eau de l’univers », selon lui, et sur ses approches : les baies de Camaret et de Bertheaume. S’il n’est pas le premier à édifier des batteries pour la défense des approches du port du Brest, il l’est en revanche pour la conception d’un plan d’ensemble. Ce dernier s’articule autour de trois axes : protection des baies de Camaret et de Bertheaume, essentielles à l’activité des navires avec leurs havres de relâche ; défense du goulet d’accès à la rade au moyen de nombreuses batteries dont les plus puissantes croisent leurs feux ; interdiction des mouillages dans la rade aux navires qui auraient pu y entrer, au moyen de batteries de canons et de mortiers.
Le principe de défense de la rade établi par Vauban demeure quasi inchangé jusqu’à la première moitié du XIXe siècle.
Le château au XVIIIe siècle
Le XVIIIe siècle est pour Brest une période d’intenses changements : la ville se développe rapidement autour du port et de l’arsenal, et devient l’une des deux grandes bases navales françaises avec Toulon. La population est multipliée par deux ; de nombreux bâtiments sont construits. Immuable, le château continue de symboliser le pouvoir royal.
La vieille forteresse reste avant tout le siège du pouvoir militaire, chargé d’assurer la défense de Brest contre un ennemi extérieur ou une révolte locale.
Le château conserve sa fonction de prison militaire pour les marins anglais ou les espions étrangers. Il remplit également son rôle de prison civile.
Le château garde également une fonction symbolique importante au sein de la ville. Chaque nouveau maire vient y prêter allégeance au gouverneur, représentant du pouvoir royal, le 1er janvier suivant son élection, recevant les clés de la ville des mains du gouverneur.
Pour autant, le véritable pouvoir n’est plus au château. L’homme fort à Brest est désormais l’intendant de la Marine, installé dans l’arsenal. En liaison régulière avec Versailles, son rôle dépasse largement celui de la simple gestion du port et de l’arsenal. Il est amené à intervenir sur presque tous les sujets, car c’est la Marine qui fait la ville et qui la transforme.
Pour continuer l’œuvre de rationalisation de l’arsenal déjà largement engagée, la Marine a besoin d’encore plus d’espace autour de la Penfeld. Elle obtient, entre 1785 et 1788, la dévolution du château. L’édification d’une statue à la gloire de Louis XVI (1754-1793) et de nouveaux bâtiments sont proposés à la place du château, mais la Révolution interrompt ce projet et sauve la forteresse.
Révolution et Empire (1799-1815)
Lorsque la nouvelle de la prise de la Bastille arrive à Brest, une rumeur court les rues : les aristocrates du château vont canonner la ville ! De fait, quelques jours plus tard, ce sont le château, en l’occurrence le commandant militaire de la place, et la Marine, en la personne du comte d’Hector (1722-1808), qui se rendent à l’hôtel de ville pour prêter allégeance au nouveau pouvoir. La vaste esplanade devant le château est baptisée « Champ de la Fédération » le 14 juillet 1790. Mais la situation sociale est explosive, attisée par les événements politiques parisiens. À partir de 1791, la production de l’arsenal est largement désorganisée, les équipages de la flotte sont en mutinerie endémique. L’émigration des officiers nobles devient massive.
En ces périodes troublées, le château est une prison bien commode. Officiers de marine, prêtres réfractaires, Chouans (insurgés royalistes) en sont les hôtes forcés, rejoints par les Girondins (les vingt-six administrateurs du Finistère). La vieille forteresse est rebaptisée Fort-la-Loi. La Terreur s’installe, et la guillotine remplace l’autel de la Patrie devant le château. Jeanbon Saint-André (1749-1813), membre du Comité de salut public, a pour mission de réorganiser la Marine et de tenter de canaliser les excès de la Terreur et du tribunal révolutionnaire.
Le solide blocus de la Royal Navy, maintenu durant toute la période révolutionnaire puis sous l’Empire, ruine le port de Brest et piège les escadres dans la rade. La construction navale est réduite à néant, par manque de matériaux et du fait de la désorganisation de l’arsenal. Les grands projets de l’Empire en matière maritime sont désormais dans les arsenaux de Cherbourg, d’Anvers en Belgique ou de La Spezia en Italie. La ville et le port de Brest sortent ruinés et affaiblis des guerres révolutionnaires et impériales.
Le château au XIXe siècle
Revenu à l’armée de Terre lors des événements révolutionnaires, le château conserve son rôle de garnison. En 1824, le manque de logements conduit les autorités militaires à réaménager le Donjon, abandonné depuis des décennies.
Le premier remaniement consiste en une poterne par le travers de la tour Duchesse-Anne, pour accéder à la terrasse du bastion Sourdéac et permettre le passage des pièces d’artillerie. Le Donjon, c’est-à-dire l’ancien château, dans lequel on pénétrait par sa seule entrée médiévale, perd son isolement. Dix ans plus tard, la travée Vauban et la tour Nord sont voûtées. Le niveau des planchers est modifié, les encadrements des fenêtres détruits. Le Donjon est parvenu jusqu’à nous dans l’état laissé par ces travaux, qui ont rendu la compréhension de l’architecture médiévale bien difficile.
Le château est le siège du 19e régiment d’infanterie tout au long du XIXe siècle. La vie de garnison est rythmée par les cérémonies militaires, les prises d’armes et les entraînements.
Après les grands travaux des années 1820 (construction de la prison civile et de la caserne Monsieur), la physionomie du site ne change plus. Mais, autour du château, la ville entre de plain-pied dans la révolution industrielle sous le Second Empire.
Les deux guerres mondiales
En août 1914, le 19e régiment d’infanterie quitte le château pour rejoindre le front face à l’Allemagne. Les casernes se vident et reçoivent bientôt les premiers prisonniers allemands.
En novembre 1917, après l’entrée en guerre des États-Unis, le château et le port connaissent une activité inédite. Brest devient la Base Section No. 5 de l’American Expeditionnary Force. En un an, 800 000 soldats américains débarquent.
Rayé de la liste des places de guerre en 1921, le château intègre alors une autre liste, celle des Monuments historiques en 1923. La caserne Plougastel, qui date du début du XVIe siècle, est elle aussi protégée. Cette protection ne change que peu de choses pour le château qui accueille le 2e régiment d’infanterie coloniale. Mais avec lui, c’est l’ensemble des fortifications de Brest qui sont déclassées. Même si Vauban avait vu large, la ville étouffe à présent dans son corset fortifié. La pression urbaine des années 1920 conduit, bien avant la Seconde Guerre mondiale, à la décision d’araser les fortifications. Le château demeure intouché dans ces projets interrompus par la guerre.
En juin 1940, dans la débâcle, passent par Brest l’or de la Banque de France, le stock d’eau lourde indispensable aux recherches atomiques en cours, ainsi que le général de Gaulle qui rejoint Londres. Le cuirassé Richelieu évacue l’état-major de la Marine et les élèves de l’École navale. Les installations portuaires sont sabotées lorsque les Allemands arrivent le 19 juin.
Brest devient alors un maillon important de la Kriegsmarine (marine de guerre allemande). En quelques semaines, les premiers U-boote opèrent en Atlantique. En 1941-1942, une imposante base de sous-marins est édifiée à l’ouest du port. Elle abrite deux flottilles de U-boote protégées des bombardements britanniques puis américains.
À cette période, le rôle stratégique du port s’accroît avec la présence d’unités de la flotte de surface allemande : croiseurs Scharnhorst et Gneisenau, ainsi que les Prinz Eugen et Admiral Hipper. Ces navires sont la cible de nombreux bombardements qui meurtrissent la ville et la population.
Les autorités allemandes ne s’installent pas dans le vieux château, préférant des lieux plus commodes, dont l’École navale édifiée dans les années 1930. Les prisonniers allemands de la « drôle de guerre » cèdent la place à des Résistants. Pour protéger les hommes et les matériels, de vastes galeries souterraines sont creusées à partir de 1942 dans le soubassement de l’édifice.
Bien qu’il ne soit plus en lui-même un objectif militaire, le château n’est pas épargné lors du siège en août-septembre 1944. Les combats acharnés font 10 000 morts et blessés de part et d’autre. À la Libération, les habitants découvrent la silhouette du château miraculeusement intacte au milieu des ruines d’une ville à 90 % détruite.
De 1945 à nos jours
À la sortie de la guerre, le château est définitivement dévolu à la Marine nationale qui décide d’y installer la préfecture maritime de l’Atlantique. Les casernes en ruines sont rasées. La nouvelle préfecture est inaugurée en 1953 ; l’amiral préfet maritime s’y installe.
Brest est désormais, avec Toulon, l’une des deux grandes bases navales françaises. Son importance stratégique est renforcée par la présence de la FOST (Force océanique stratégique), installée à l’île Longue avec les quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, de l’autre côté de la rade, mais dont le commandement est directement rattaché au chef d’état-major des Armées et au président de la République.
En 1944, le château se dresse presque intact dans la ville dévastée par les combats. Seules les casernes intérieures sont en ruines, et les toitures endommagées. Une première restauration permet de sauvegarder le monument dans lequel s’installe en 1946 le Service historique de la Marine (dans le Donjon).
En 1958, les collections du musée naval, rattaché au Musée de la Marine de Paris en 1947, sont installées dans les tours Paradis. Le départ des archives de la Marine, en 1985, permet l’extension du musée dans le Donjon et la tour Madeleine, dans la configuration qui est la sienne aujourd’hui.
Depuis 1990, la restauration du château est conduite grâce au financement à parts égales entre les ministères de la Culture et de la Défense. La restauration de la tour Madeleine, entre 2020 et 2022, a clôt un premier cycle de restauration.
Lieu et parcours
À la pointe de la Bretagne, le château de Brest témoigne d’un destin mêlé à celui de la mer, à l’histoire d’une ville, d’une région et d’un pays tout entier. Les collections du musée y retracent l’histoire de la Marine et attestent des liens étroits avec la ville. La visite du château permet également de découvrir les magnifiques vues sur la rade, la Penfeld, la ville et ses ports.