Eudes Riblier : l’Océan, bien commun de l’humanité

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Le 08 juin 2023

A l'occasion de la journée mondiale de l'océan 2023, le musée interview Eudes Riblier, président de l'Institut Français de la Mer, Co-initiateur de l’Appel pour l’Océan, Bien commun de l’Humanité.

Le maritime s’impose de plus en plus sur la scène mondiale et est au cœur des grands rendez-vous internationaux de cette année.  Quels sont les sujets en débat et les enjeux ?

En février, à Brest, le One Ocean Summit avait pour objectif d’identifier des actions concrètes à engager, afin de préserver et de restaurer les écosystèmes marins

En mars 2022 à Nairobi au Kenya, 175 pays ont adopté, à l'occasion de la cinquième session de l'Assemblée des Nations unies pour l'environnement, une résolution permettant de lancer des négociations internationales pour lutter contre la pollution plastique.

En avril aux Palaos, la conférence internationale Our Ocean visait à trouver des solutions pour gérer les ressources marines, augmenter la résilience de l’océan face au changement climatique et sauvegarder sa santé pour les générations à venir.

Fin juin la Conférence des Nations unies sur l’Océan à Lisbonne organisée dans le cadre des Objectifs de développement durable, a cherché à mettre en place des solutions innovantes fondées sur la science, afin d’ouvrir un nouveau chapitre de l’action mondiale en faveur des océans.

En août, aux Nations Unies s’est réunie la cinquième session de la conférence intergouvernementale en vue d’un instrument international juridiquement contraignant portant sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridictions nationale (négociation dite « BBNJ » pour Biodiversity beyond national jurisdictions).

En octobre s’est réunie la 41ème réunion de la commission pour la conservation des ressources vivantes de l’antarctique, au cours de laquelle la Russie et la Chine se sont à nouveau opposées à la création d’aires marines protégées dans ces eaux.

En novembre, en Egypte, à Charm el-Cheik, la 27ème Conférence des parties à la Convention des Nations unies sur le climat (COP Climat) centrée sur les questions de financement a peu évoqué les sujets marins, mais a été l’occasion pour le Président Macron de lancer un appel pour l’interdiction d’exploitation des grands fonds marins.

En décembre, à Montréal, constatant qu’aucun des objectifs fixés en 2010 à Aïchi n’a été atteint, la 15ème Conférence des parties à la Convention des Nations unies sur la biodiversité (COP Biodiversité) visait à protéger 30% des terres et des mers, à restaurer 20% des espaces dégradés et à mettre en place le financement par les pays du nord la protection des réserves de biodiversité situées en grande partie dans les pays du sud.

La connaissance, la protection et l’exploitation durable de l’océan ont été au centre des discussions. Mais derrière ces sujets pointe aussi celui de la maîtrise des mers et de son usage comme espace de confrontation de haute intensité.

La reconnaissance de l’Océan comme « bien commun de l’Humanité » est un appel que vous portez depuis longtemps. Qu’est ce qui a déclenché cet appel ? Quels en sont les fondateurs, les partenaires et les destinataires ?

La conférence internationale organisée au Conseil économique, social et environnemental en 2013 à l’initiative de Catherine Chabaud a proposé de faire de la haute-mer un bien commun de l’humanité.

A la même époque, l’Institut Français de la Mer s’interrogeait sur l’équilibre entre liberté, appropriation et protection des océans fixé par la Convention des Nations unies pour le droit de la mer. Nous en avions conclu la nécessité de ne pas chercher à en changer les règles, mais d’en renouveler la lecture et de la transcender en l’éclairant par la notion de bien commun de l’humanité applicable à l’ensemble de l’océan.

A la suite de ces travaux, nous avons organisé un colloque « L’océan, bien commun de l’humanité : une utopie pour le XXIème siècle ? », dont le titre même montre que notre proposition est du registre d’un idéal à construire.

En 2018, Catherine Chabaud nous a sollicités, avec Françoise Gaill et Jean-Louis Fillon, pour l’accompagner dans une initiative en faveur de la protection de l’océan, prolongeant ces travaux. De ces échanges est né l’Appel. Nous y insistons sur l’unicité de l’océan, sur tous les bienfaits qu’il apporte à l’humanité, sur les multiples agressions qu’il subit et sur la responsabilité individuelle et collective que nous portons tous à son égard.

Cet Appel s’adresse donc à chacun d’entre nous. Où que nous soyons, nous interagissons avec l’Océan. Tous, nous bénéficions de l’oxygène qu’il produit, du CO2 et de la chaleur qu’il absorbe. A nombre d’entre nous, il fournit nourriture, médicaments, loisirs, beauté. Et, où que nous soyons, nous participons - plus ou moins, et c’est là que réside notre responsabilité - à son asphyxie.

Cet appel s’adresse aussi à nous collectivement, au travers de toutes les formes de communautés humaines dont nous sommes membres : nous le savons bien, la force du collectif décuple nos possibilités d’action.

Parallèlement à des actions de sensibilisation en direction du grand public, nous travaillons avec des entreprises : ce sont nos Expériences Aquasphère pour fédérer les équipes autour de projets en faveur de l’océan. Nous travaillons avec des territoires : notre projet de Blue Print pour accélérer la préservation de l’eau et des écosystèmes aquatiques. Et nous sommes mobilisés pour que cette responsabilité individuelle et collective soit reconnue internationalement, au travers d’engagements moraux inscrits dans des conventions internationales.

« Cet Appel s’adresse donc à chacun d’entre nous. Où que nous soyons, nous interagissons avec l’Océan. Tous, nous bénéficions de l’oxygène qu’il produit, du CO2 et de la chaleur qu’il absorbe. A nombre d’entre nous, il fournit nourriture, médicaments, loisirs, beauté. Et, où que nous soyons, nous participons - plus ou moins, et c’est là que réside notre responsabilité - à son asphyxie. »

Eudes Riblier

Comment faire appel à la responsabilité collective pour protéger l’océan ?

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Banc de poisson et plongeur © freezipic.com 2011 - stock.adobe.com

Tout d’abord, les appels à la responsabilité doivent s’appuyer sur une diffusion de connaissance aussi large et aussi solide que possible. C’est pourquoi nous soutenons l’initiative portée en particulier par Françoise Gaill de créer un groupe d’experts intergouvernementaux sur l’Océan (« IPOC »), pendant de ce qu’est le GIEC pour le climat et l’IPBES pour la biodiversité. Il faut cette base scientifique solide pour dire comment collectivement il faut agir, quels sont les leviers efficaces, où mettre les priorités.

Faire évoluer le droit international est un processus très lent. Mais nous sommes convaincus, malgré la crise que traverse le multilatéralisme, qu’il est possible de mettre en avant des principes moraux pour amener les Etats à s’engager volontairement à des actions de protection et de régénération de l’océan. On peut critiquer le système des COP, regretter leur lenteur, déplorer que les engagements volontaires qui y sont affichés soient rarement totalement respectés. Mais force est de constater que sans ces réunions et sans les promesses qui y sont faites, les progrès seraient encore beaucoup plus lents.

Nous l’avons évoqué au début de cet entretien : il existe aujourd’hui un grand nombre d’instances internationales où il est question de l’Océan. Mais nous pensons que pour le protéger efficacement il ne faut pas seulement le regarder un jour sous l’angle de ses interactions avec le climat, le lendemain sous celui de la biodiversité, le troisième pour les pollutions plastiques, le quatrième pour la pêche, le cinquième pour l’économie bleue... : sans exclusive, il faut également un lieu central où la communauté internationale puisse avoir une vision globale de l’Océan, de façon à le protéger efficacement, d’en partager les bienfaits. Le regarder toujours tranche par tranche en fausse la perception.

C’est pourquoi nous militons pour la création d’une Conférence des parties à la Convention des Nations unies pour le droit de la mer : une « COP Océan » qui permettrait d’avoir périodiquement cette vision globale. C’est jusqu’à ce niveau que la responsabilité collective vis-à-vis de l’océan doit remonter.

La France a-t-elle un rôle à jouer pour défendre ce plaidoyer ?

La France a un rôle à jouer, et elle le joue.

Le Président de la République, à l’occasion de son discours aux Assises de l’économie maritime en 2019, a fixé la stratégie maritime de la France. Il a fait de la reconnaissance de l’océan comme bien commun de l’humanité le premier pilier de cette stratégie.

Depuis lors, la diplomatie française porte cette notion à l’international et le One Ocean Summit a été une belle opportunité de la défendre.

De même la France soutient le projet de création de l’IPOC et la conférence des Nations unies sur l’Océan que notre pays a proposé d’organiser avec le Costa-Rica en 2025 pourrait être une préfiguration de la COP Océan que nous proposons.

Par ailleurs, vous présidez l’Institut Français de la Mer, institution de référence du monde maritime. Pouvez-vous nous expliquer son rôle et son ambition ? Quels sont les grands sujets que l’IFM porte aujourd’hui ?

L’Institut Français de la Mer est une association d’utilité publique qui a pour objectif de "faire connaître, aimer et protéger la mer aux Français" et, plus largement, de les sensibiliser au rôle fondamental des océans dans tous les domaines de la vie humaine et des grands équilibres de notre planète, ainsi que d’œuvrer par tous les moyens au développement durable des activités maritimes de la France.

Créé en 1972, reconnu d’utilité publique par décret du 15 juin 1979, l’IFM réalise son objectif par de nombreuses actions de sensibilisation, d’information, d’orientation, de recherche, d’études et de formations, dirigées aussi bien vers les décideurs que vers l’opinion publique. Animé par une équipe de bénévoles avec le relais de Comités locaux actifs en Ile-de-France et dans la plupart des régions maritimes métropolitaines, l’Institut Français de la Mer bénéficie de l’appui dans son Conseil d’Administration de représentants des grandes activités maritimes à leur plus haut niveau.

L’IFM réalise des études de fond : droit maritime international, solidarité maritime, espaces maritimes français. Ces études sont présentées à l’occasion de colloques regroupant plusieurs centaines de participants.

Il publie des fiches documentaires qui font le point sur des sujets maritimes extrêmement variés.

L’Institut Français de la Mer édite la Revue Maritime, revue de débat et d’opinion créée en 1864, qui publie chaque année environ 500 pages de signatures reconnues, d’analyses, de propositions, de commentaires d’actualité et d’histoire maritime.

Il organise des conférences à Paris avec le Centre d’Etudes de la Mer de l’Institut Catholique : les "Mardis de la Mer", cycles annuels de 10 à 12 exposés-débats sur tous les sujets touchant la mer (gratuit et ouvert à tous). En province de nombreuses autres conférences sont proposées par les Comités locaux.

Il actualise en permanence un inventaire des formations et métiers maritimes en France, reconnu pour la diversité des domaines proposés.

Il attribue un prix annuel, décerné à une personne ayant œuvré au développement ou au rayonnement des activités et/ou de l’emploi maritime en France.

A l’origine du lancement du Cluster Maritime Français, l’Institut Français de la Mer est, par l’étendue de ses domaines d’intervention et par la diversité de ses actions un lieu de rencontre unique pour tous ceux qui s’intéressent à la mer et au potentiel qu’elle recèle pour l’humanité.

En tant que partenaire institutionnel de premier plan du Musée national de la Marine, vous connaissez l’ambition du futur grand musée maritime. Quel pourrait être selon vous son rôle, notamment auprès des jeunes générations ?

 « Faisons de la mer un monde », propose le Musée national de la Marine. Il marque sa volonté d’être tourné vers l’avenir. Et sa nouvelle identité visuelle fait écho au mouvement et à l’énergie marine.

La présentation des trésors que nous ont légués les générations passées se tourne ainsi vers le futur et permet de suggérer des pistes pour sa construction, en laissant à chacun la liberté de s’emparer des thèmes qui l’inspirent. Donnant des clés de compréhension et ouvrant des perspectives, le futur grand musée maritime crée une dynamique nouvelle.

« Il est un outil formidable pour inviter chacun, en s’appuyant sur ses émotions et sur son intelligence, à participer à la grande aventure de l’Océan, de sa préservation, de sa régénération, de son utilisation durable et pacifique. »

Eudes Riblier

Les interviews du musée national de la Marine

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Romain Troublé - Fondation Tara Océan