Patrimoine déchainé : la difficile mise en œuvre de l’abolition de la traite

Les traces de l’esclavage sont nombreuses dans le patrimoine culturel français, mais restent souvent invisibles pour le grand public. Le musée national de la Marine, s'associe à la journée nationale des mémoires de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions en présentant ce modèle de Brick de commerce qui illustre la difficile mise en œuvre de l’abolition de la traite. 

Modèle de brick de commerce, 1830-1840

 
Félix-Alexandre MENARD, 1875
Bois et fer, H = 73,5 cm, L = 113 cm, échelle 1/33e
© musée national de la Marine / Patrick Dantec 
 

Ce modèle, représentant un brick de commerce gréé des années 1830-1840, est entré dans les collections du musée en 1875 . Il a été acheté directement auprès du maquettiste, lieutenant de vaisseau en retraite attaché au port de Toulon ( Archives du musée naval au Louvre, EM6 1875 : arrêté du ministre de l’instruction publique et des beaux-arts du 22 juillet 1875.)

 


Navire au profil élancé, fortement voilé, il est caractéristique des embarcations utilisées pour la traite après l’interdiction de cette dernière en 1815. A la suite de l’Angleterre, les puissances européennes signataires du traité de Vienne s’engagent en effet à interdire la traite des esclaves en provenance d’Afrique. Les principales caractéristiques des navires négriers deviennent à partir de ce moment-là la rapidité et la manœuvrabilité, qui leur permettent d’échapper aux croiseurs progressivement armés pour réprimer ce trafic, confisquer les embarcations et infliger des condamnations judiciaires aux contrevenants. Ces navires diffèrent donc de ceux qui étaient utilisés pour la traite au XVIIIe siècle, dont l’ambition était de pouvoir embarquer un grand nombre d’esclaves. L’amiral Pierre JURIEN DE LA GRAVIERE, volontaire de la Marine royale embarqué à bord du négrier Le Bon-Père en 1788, souligne ainsi à ce sujet que la marche de ce dernier « était au-dessous des plus médiocres  ».

 

 

Pierre Roch JURIEN DE LA GRAVIERE, Souvenirs d’un amiral, tome 1, Paris, 1860, p.44

 

Pour ces navires qui font partie des plus rapides de leur temps, l’impératif de vitesse va de pair avec des dimensions relativement modestes. La longueur réelle de la coque du brick représenté est ainsi d’un peu plus de 41 mètres. Les cales et entreponts y sont moins volumineux que sur les négriers de la seconde moitié du XVIIIe siècle, ce qui a une incidence sur les conditions de transport des esclaves, rendues plus difficiles encore. Les partisans de l’abolition de l’esclavage diffusent d’ailleurs des plans restituant l’aménagement intérieur des négriers et la disposition des esclaves dans ces espaces exigus afin de sensibiliser l’opinion au caractère inhumain de la traite. C’est le cas, par exemple, des plans de La Vigilante , brick du même type que celui représenté par le modèle et se livrant également à traite, capturé en 1823 et dont les plans ont été publiés la même année.

Charles de LASTEYRIE, Plan du brick négrier La Vigilante, 1823. Lithographie reproduite et publiée dans L’affaire de La Vigilante, bâtiment négrier de Nantes, Paris, 1823.

 

Cet objet illustre la difficile mise en œuvre de l’abolition de la traite négrière, interdite en France par un décret en 1815, puis suivi d’une ordonnance et de trois lois entre 1817 et 1831. L’abolition de l’esclavage, proclamée en France en 1848 par Victor SCHOELCHER, sous-secrétaire d’Etat à la Marine placé sous la tutelle du ministre François ARAGO ne semble pas non plus suffire à faire disparaître définitivement ce trafic.

La pratique n’a en tous cas pas complètement disparu en 1863, année de publication du Dictionnaire des armées de terre et de mer. Encyclopédie militaire et maritime, où l’on peut lire : « ce mot négrier n’existera bientôt plus, il faut l’espérer, que comme souvenir ; car tout semble promettre que nous touchons au moment où l’esclavage, et l’abominable traite des noirs, qui l’alimente, auront entièrement disparu du monde civilisé  ».

 

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